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Expérimentation

Manifeste d’une recherche les pieds dans la neige

J’ouvre ce billet pour remettre en contexte la volonté habitant les recherches décrites dans ce carnet. 

Si celui-ci a permis de stocker et d’héberger mes recherches et notes au fil de ma thèse, il prend aujourd’hui le rôle d’un compagnon de réflexion et du carnet de bord d’une proposition de recherche ancrée dans le réel accompagnant la suite de mes recherches après cette tant redoutée soutenance doctorale. 

Si depuis mes diplômes de premiers cycles (DMA, DNAT et DNSEP) je me suis intéressée à la médiation culturelle, je me suis alors principalement concentrée sur des zones rurales et leurs enjeux particuliers de connexion et d’accès (d’abord dans les Vosges, à l’est de la France). 

Si ces recherches ont dû prendre un peu le bord le temps que je puisse approfondir d’une part, la médiation littéraire (master livres et médiation) et d’autre part, la culture numérique (thèse à la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques), il est temps de revenir à mes objets. 

Mes études sont peut-être la pointe émergée de l’iceberg me menant aujourd’hui au cœur du Québec. Ma formation politique adolescente pendant Nuit Debout (Comité invisible, 2017) comme premier mouvement populaire où j’ai pu prendre part avec mes camarades d’école d’art nous a propulsé dans le monde associatif, militant et syndicaliste sous un jour très particulier. Si l’enthousiasme est retombé, les apprentissages politiques sont restés. Enfant de la pensée zadiste (Subra, 2016), il est temps de mettre en regard ces réflexions du concret de la production culturelle actuelle.

Cette expérimentation, empruntant directement aux recherches-actions (Roy et Prévost, 2013), vise à explorer les possibles de terrain de la médiation culturelle et des réflexions utopiques contemporaines pour forger une pensée politique de l’extrême contemporain. Si la fiction a toujours accompagné la création et le renforcement des imaginaires militants (Comité invisible, 2007)), il me semble particulièrement signifiant que nous en venions aujourd’hui à observer la diffusion de sous-genres de l’espoir (Reina-Rozo, 2021).

La fiction comme béquille politique 

Justement, cette littérature de l’espoir, rejoignant l’imaginaire et les courants plus mainstream qui se déploient aujourd’hui (on compte par exemple une dizaine de jeux « solarpunk » à sortir en 2025 sur Steam), nous offre une multitude d’utopies à questionner. La fiction, et notamment la science-fiction ont toujours été des outils pour penser le futur des sociétés, comme le Cyberpunk (concentré sur des mondes numériques et leurs dérives), le Dieselpunk (présentant des mondes ravagés par la surexploitation des ressources fossiles) le Postapo, les guerres zombies et les uchronies guerrières, notre imaginaire semblait pris dans un nihilisme désespéré. Or, la théorie politique qui émerge de ce terreau d’imaginaire de la dévastation se fait vieille, elle commence à résonner comme les trompettes d’un autre âge ayant laissé passer son tour. Il nous revient alors d’accompagner la levée d’une nouvelle pensée sociale construite dans des imaginaires du confort, de l’espoir et de la communauté. Du Cosyfantasy (et cosygame) aux guerres du temps Hopepunk, une pensée s’est construite dans les communautés de fans et de lecteur·rice·s arrive sur le devant de la scène, réclamant la lumière pour sa culture craft, DIY et collective. Ces alternatives intimes et humaines méritent aujourd’hui d’être discutées dans un contexte plus large que leur cercle d’émergence.

Il est marquant de remarquer l’importance du labeur (Dumoulin, Lescouet Vallières, 2024) dans ces œuvres, et son rapport intime a la ruralité dans l’idée de confort. 

Solar ou Hopepunk ?

Le Solarpunk a pu offrir à mon militantisme adolescent un espoir fou. Le terme issu des avancées technologiques des bateaux à voiles solaires avait tout pour plaire : la proposition d’utiliser la technologie pour résoudre les erreurs humaines et restaurer la planète est prometteur. 

Cependant, presque 20 ans après l’apparition du terme et de la publication de son manifeste, force est de constater les limites de la proposition devenant aujourd’hui seulement mainstream. Le manque de corpus s’accompagne de la réalisation des limites technologiques dans des propositions contradictoires prônant l’autosuffisance et les échanges mondialisés dans le même souffle. 

Le Hopepunk, à son tour, ouvre des portes, plaçant l’humain (dans une sorte de sens inclusif des intelligences au sens large) au cœur de son propos pour penser des alternatives pleines d’espoir où il serait possible de s’épanouir. 

Toutes deux s’approchent de solutions, de sociétés écoanarchistes à petite échelle, indépendantes et décentralisées, décoloniales et égalitaires… 

Punk surtout 

Mais je pense que ce qui me retient le plus dans ces utopies est l’indépendance et la liberté offerte. Liberté d’être, liberté d’aller, liberté de faire. 

Reste de mon amour pour Bikini Kill et autre Riot GRRRRL (Labry, 2016) l’intérêt pour le fait main et pour la reconquête de nos moyens de production et d’expression (Albertine, 2014). Cette culture du zine (Legendre XXX), de DIY, est au cœur des propositions littéraires discutées ici. Il n’y a de société Hopepunk que par l’expression libertaire du punk dans une version rassemblée et intersectionnelle. Un punk qui a tellement perdu son futur qu’il a pris les fourches pour changer le monde.

La logique d’une alternative après la rage est limpide, reste à rester fidèle à cette dernière dans la construction du futur que nous n’attendions plus. 

Quelque part dans la neige

À l’heure où j’écris ce texte, au cœur de l’hiver canadien, tous ces propos dorment encore sous la neige, attendant l’étincelle pour prendre le terrain de force. 

Le quotidien de cette recherche est ancré sur 2 acres en Chaudière-Appalaches, au Québec. Je sais que la force de construire concrètement une homestead, de tester les propositions et pistes ouvertes par le Hopepunk et le Solarpunk, influencera fortement les propos tenus ici, tant vis-à-vis du labeur dont il est souvent question dans mes analyses d’œuvres que concernant le regard porté sur ces alternatives. 

Le propos militant ne me semble pouvoir être construit qu’à hauteur de vue, les pieds dans la bouette et la neige. J’ai toujours eu du mal à concevoir une recherche sur la culture contemporaine déconnectée de ses objets – me menant à des études de corpus (Lescouet, 2025). 

Bibliographie

Albertine, V. (2019). Clothes, clothes, clothes. Music, music, music. Boys, boys, boys. Faber and Faber.

Comité invisible (Éd.). (2007). L’insurrection qui vient. La Fabrique éditions.

Comité invisible (Éd.). (2017). Maintenant. La Fabrique éditions.

Dumoulin, P. Lescouet, E., et Vallières, V. (2024). « Penser le confort au-delà du cozygaming ». CIFEL. Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Labry, M. (2016). Riot grrrls : Chronique d’une révolution punk féministe. Zones.

Roy, M. & Prévost, P. (2013). « La recherche-action : origines, caractéristiques et implications de son utilisation dans les sciences de la gestion ». Rech. Qual. 32, 129.

Subra, P. (2017). Zone À Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-Landes. Éditions de l’Aube.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (17 février 2025). Manifeste d’une recherche les pieds dans la neige. Imaginarium. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bvj


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