Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous
Catégories
cozyfantasy Fiction

Premières réflexions sur le foyer en Cosyfantasy

Comme j’ai pu l’expliquer ailleurs la notion de foyer est particulièrement importante en Cosyfantasy, et plus largement dans la pensée d’espoir contemporain dans les cultures de l’imaginaire. 

J’aimerais, dans ce billet, poser les premières pierres dans la réflexion nous permettant de discuter de cette notion étrange dans ce sous-genre.

Je vais essayer d’explorer cette notion en partant d’une approche générale, pour ensuite regarder concrètement ce que le corpus en fait. Pour cela, nous allons nous baser sur les œuvres listées dans la bibliographie disponible ici

Dans ce corpus, le foyer est étonnement présent, notamment dans la puissance qui lui est confiée, et ce, dans une double dimension : le foyer intime où la famille se crée et où les individus vont chercher une forme de repos; toutefois, il se déploie également plus largement aux communautés, au-delà de la famille nucléaire présentée. Cette ouverture fait l’objet d’un autre billet, disponible ici (à venir) sur le carnet 😊.

Vers une définition du foyer

Le foyer est le lieu de vie, et plus que le simple abri, c’est un lieu particulièrement important puisqu’il relève de la famille et de l’habitude : c’est le lieu du quotidien par excellence. Au-delà d’une simple habitation, le foyer est le lieu où le feu et l’autel des ancêtres étaient présents dans la culture romaine. Il en reste aujourd’hui l’idée que c’est le lieu de ressourcement, d’enracinement et de la famille. C’est aussi un espace de la récurrence : puisque les individus y résident, ils le façonnent à leur image (dans la mesure du possible) et y laissent leur trace. 

Le foyer comme lieu est rarement présent en littérature, notamment dans les littératures de l’imaginaire s’intéressant aux quêtes et explorations des univers, pour lui préférer l’extérieur, les administrations ou lieux publics. Le foyer ne porte pas en lui le grandiose nécessaire pour changer le monde, ni pour mener de grandes batailles… et pourtant, nous allons le voir, dans le corpus de Cosyfantasy c’est autour de ce feu que les individus prennent la force de modifier leur monde et leur trajectoire. 

Éléments de représentation du foyer intime 

Si nous nous tenons à la définition usuelle du foyer, nous pourrions facilement multiplier ses occurrences dans la littérature cozy. La diversité de cet espace, propre à chacun·e et à chaque communauté, matérialise un lieu possible, un espace à soi où il est envisageable de s’affirmer et de créer une place pour les passions ou aspirations de l’individu, leur offrant un terreau pour commencer à grandir.

La notion a longtemps été considérée comme une réflexion du passé, non adaptée au contemporain où nous voyageons, déménageons et ne pouvant rester proche de quelconques racines. Pourtant, au-delà du propos conservateur que nous pourrions attendre, le foyer peut être aussi envisagé comme un désir de calme, de repos d’un monde trop rapide et violent, un besoin de trouver un lieu où se ressourcer. 

La littérature, à son tour, se saisit de cette idée, peut-être comme un retour au care si dominant sur les représentations de soi contemporaines, au-delà d’un self care tourné vers la consommation (shopping, vêtements, soin du corps, etc.), il semble nécessaire d’inventer un self care lié au foyer, à la création d’un lieu et d’une communauté positive permettant le retour de soi vers une réalité joyeuse et une affirmation de soi par l’affichage du confort et d’une forme de bonheur. Comme nous avons pu le discuter pour le Hopepunk et son changement de rythme (ici, par exemple), le changement d’échelle de la narration passe d’enjeux globaux des mondes vers les individus et leur bulle d’action. Le foyer comme enracinement prend alors une place importante dans ces narrations. 

Créer un foyer 

Or le foyer n’est pas un objet donné. Il faut le trouver ou le construire. Cet établissement peut être reçu, mais le plus souvent, les personnages doivent le construire d’eux-mêmes, ce qui leur demande de grands efforts. 

Cette construction, plus que la simple envie d’installation, offre par la récurrence du trope un aperçu d’une forme d’utopie contemporaine, au cœur de crises du logements répétées.

De nombreux romans du corpus réfléchissent directement à l’établissement de celui-ci : 

  • Dans Legend and Lattes, notre orque ouvre son café justement pour parvenir à se créer un lieu où vivre, où rassembler une communauté et où ne plus dépendre des aventures qui ont fait sa vie jusque-là;
  • Dans Spellshop, la protagoniste revient sur son ile natale, dans sa maison familiale pour se mettre en sécurité d’un monde faisant face à une révolution violente. Ce retour, qui s’accompagne de l’ouverture d’un commerce, lui permet surtout de trouver enfin un lieu lui appartenant ou elle peut se reposer du traumatisme des événements.
  • Il en va de même par exemple dans Honey Witch, où la protagoniste reprend à son tour le cottage de sa grand-mère et son jardin qui est la source de leur magie. Le foyer familial prend une force particulière pour elle qui lui doit sa puissance et son agentivité au sein de l’univers second. 

Ici, le foyer est un lieu à conquérir, à construire pour réussir à trouver sa place. Dans ces exemples comme dans d’autres, il est important pour les personnages de s’installer. Par cette installation seule, ils vont être capables de retrouver une forme de stabilité dans leur existence (que ce soit face à leur situation professionnelle, à l’actualité ou la crise politique de leur monde). 

Le foyer comme remède au mal-être

Dans des œuvres comme la série The House on the Cerulean Sea, de TJ Klune, le foyer n’est pas à construire, mais à ouvrir ou à sauver. Dans cette duologie, le protagoniste doit inspecter un orphelinat destiné aux enfants ayant des pouvoirs magiques. Au fur et à mesure de son temps passé auprès de cette famille composée, il va tenter de défendre ce foyer créé par d’autres qui lui est ouvert. Le roman va présenter l’épanouissement du personnage dans sa vie sentimentale et dans sa quête de sens professionnel. Il va devenir la voix de ce groupe particulièrement opprimé dans ce monde administratif. Cependant, c’est par son mieux-être et l’acceptation qui lui est offerte dans cette oasis qu’il peut à son tour agir pour le mieux de la communauté et sortir de ses propres angoisses. Le foyer est alors dépeint comme la pierre angulaire de son ouverture et plus largement dans son sauvetage, lui qui était au bout de la corde, désespéré par son incapacité à aider les autres. Ainsi, l’absence d’espoir qui caractérise la première partie du roman est complètement retournée pour laisser place au combat militant… depuis l’ile paradisiaque et l’orphelinat où il a trouvé sa famille de cœur. 

Dans le deuxième tome de la série, le mouvement se retourne : le protagoniste ne quitte plus le monde hostile pour trouver refuge dans le foyer qui lui est enfin offert… mais il doit repartir de ce foyer pour parvenir à transformer sa communauté immédiate et prendre par la force une parole médiatique afin de défendre son foyer et sa famille. Cette parole ne devient possible que parce qu’il a trouvé la force de s’affirmer; il a eu besoin de trouver sa joie pour être capable de devenir militant.

Ce foyer est particulier : il a été ouvert spécifiquement pour accueillir des enfants rejetés par la société, à cause de leurs différences (yétis, dragons, loups-garous…) et la peur qu’ils inspirent (comme l’incarnation de Lucifer dans un petit garçon). Or, celui-ci a été créé par un phénix qui a lui-même subi la maltraitance dans des institutions similaires. Aussi, bien que la construction de ce foyer soit sous-entendue, et que nous en apprenions des bribes de cette histoire, la focale est maintenue sur le quotidien de cette famille ayant fait sien ce lieu. 

Le foyer comme super pouvoir

Le foyer n’est pas toujours destiné à une famille, aussi large ou composite soit-elle. Dans la trilogie House Witch de Delemhach publiée à partir de 2023, le pouvoir magique au cœur même de l’intrigue est intimement lié au foyer. 

Le premier tome de la série s’intéresse à l’installation de Finlay Ashowan comme cuisinier du château du roi dans ce royaume de fantasy. Peu à peu, on découvre qu’il a des pouvoirs magiques lié au foyer lui permettant d’exceller dans son rôle de cuisinier et plus encore de prendre un rôle de care primordial pour les habitant·e·s du château. 

Le deuxième tome, quant à lui, est consacré à la construction de la famille dans ce foyer devenu idéal : le roi a de nouveaux enfants, Finlay tombe amoureux, etc. La communauté n’est plus uniquement le groupe d’habitant avec qui il partage le château, elle repose sur des liens du sang qui multiplient de façon kaléidoscopique le care nécessaire dans ce lieu.

Enfin, le troisième tome demande à notre House Witch de défendre le château – son foyer. Il doit faire preuve de force brute dans une bataille traditionnelle de la fantasy. Le care ne peut plus se suffire à lui-même, il doit être à son tour défendu contre des entités qui souhaitent le déconstruire. Le foyer est alors mis en lumière pour discuter de ce qui peut être souhaité dans le quotidien des individus. Ici, le care représenté par la nourriture, la famille et des jours doux est opposé à la production, notamment industrielle et militaire. Le rôle de cette magie du foyer est particulièrement puissant puisqu’il a su rendre plus fort les autres personnes autour de lui. Par ses soins, la communauté est assez forte pour défendre le château et sauver tout le monde. 

Cette série, nous en parlerons ailleurs, permet aussi de questionner les rôles genrés dans le foyer, Finlay étant masculin et responsable de la part la plus douce des tâches quotidiennes, les récriminations du début du roman sont vite oubliées face à ses talents. Cependant, en creux, la discussion autour de ses activités est pertinente pour penser une forme de foyer contemporain, adapté à la réalité de la société actuelle. 

En guise de conclusion…

Comme dans House Witch, l’inclusion un peu plus large du foyer, non à une famille, mais à une communauté est particulièrement précise pour penser le village d’aujourd’hui. Les discours autour de la difficulté de « trouver son village » ou de l’importance « d’être le village » nous demandent de questionner cette idée même. Des romans comme la série Hollowbeck Mysteries ou Tea Dragon Society permettent de poser des pistes de discussions de cette idée même de collectivité positive et de foyer composite. 

Cependant, l’ouverture même du concept est présente de façon embryonnaire dans les exemples mobilisés ici : 

  • le Spellshop n’existerait pas sans l’aide des habitant·e·s du village heureux·se·s de recueillir la fille d’une des leurs et de l’aider à reprendre sa place dans cet environnement qu’elle ne connait plus;
  • le café de Legends and Lattes ne pourrait prospérer sans la constitution d’une clientèle fidèle et de fournisseurs dévoués…
  • et ainsi de suite. 

Cet aspect communautaire, présent dans toutes les entreprises qui font ces mondes cosy rejoint les principes de permaculture dans son acceptation sociale, mais aussi les représentations utopiques du Hopepunk… 

Nous y reviendrons !


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (3 février 2025). Premières réflexions sur le foyer en Cosyfantasy. Imaginarium. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/138bx


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.