Il est facile de faire le constat que le monde va mal : entre montée des partis d’extrême droite et catastrophe climatique imminente, explosion des taux de mal-être et d’exploitation au travail… le tableau est sombre.
Cependant, des alternatives sont pensées, tant en théorie politique que dans la fiction.
Ces dernières années, nous avons pu constater la montée d’un discours sur des modes de vie alternatifs, plus proches de la nature; mais également de la remise en question des convenience foods, notamment au niveau des additifs et des modes de cultures qu’elles impliquent. Nous avons ainsi pu être témoins de l’émergence de Fablabs et de MakerSpaces (Suire, 2015; Mersand, 2020; bibliographie plus complète ici) et de positionnements forts sur la nécessité de récupérer une forme d’autonomie et de littératie technologique (Bevan, 2017).
Ce discours n’est cependant pas uniquement présent dans les sphères militantes : il l’est de plus en plus dans des œuvres de l’imaginaire construites autour de possibles heureux, de pistes pour rendre l’existence humaine plus agréable.
Ce développement est particulièrement visible sur les réseaux sociaux avec l’émergence d’esthétiques dédiées, de propos politiques forts et d’une tentative de démonstration de la viabilité d’un tel projet de société. Cependant, cette représentation n’est pas uniquement ancrée dans le réel, ou du moins dans la version fantasmée de celui-ci et telle que présentée sur les réseaux : le changement est ancré dans des cultures de l’imaginaire, celles-ci ayant préparé le terrain pour inventer de telles alternatives. Plus encore, aujourd’hui, avec le développement du Hopepunk et de la Cozyfantasy (et dans une moindre mesure du Solarpunk) dans les réseaux de publication traditionnelle, nous assistons à un renforcement du discours fictionnel entourant ces valeurs.
Ces allers-retours entre constitution d’un imaginaire collectif et solidifications d’exemples concrets nous permettent d’espérer penser une nouvelle ère des utopies. Ce billet inaugure une série essayant de penser ces propositions, de commencer à bâtir un outillage scientifique pour les comprendre.
Repenser l’utopie
Nous avons pris l’habitude des récits post-apocalyptique, et plus généralement d’une science-fiction présentant les pires penchants de l’humanité : le Dieselpunk plonge le lectorat dans des univers ravagés par l’excès des combustibles fossiles; le Cyberpunk nous confronte au pire du numérique…
Si quelques propositions positives ont pu exister à travers les décennies, ce n’est qu’à partir des années 2020 que des genres structurés, tournés vers l’espoir et la confiance en un futur plus que possible, mais confortable, ont pu émerger.
Ces utopies contemporaines s’éloignent des modèles habituels de tels exercices de pensée. Ces textes ne s’intéressent que rarement à la société dans son ensemble, mais se focalisent sur un petit groupe d’individus, équivalent à une famille, et dépeignent leur quête du bonheur. Il ne s’agit pas ou très rarement de grandes quêtes, mais plutôt d’établir une existence positive pour soi et ses proches, de construire des ilots viables. Cette approche, que l’on pourrait rapprocher des réminiscences des éco-villages, homestead et family compounds, permet de penser dans le futur dans d’autres mondes ou dans des conditions très différentes, des alternatives au système capitaliste actuel. Ces mondes, perçus et racontés à l’échelle des protagonistes, permettent de discuter des actions possibles, des gestes à poser dans ces quêtes d’alternatives.
Si le Hopepunk pense des futurs tournés vers l’espoir, incluant un fort aspect social, mais aussi des questions écologiques et économiques (dans une perspective proche des théories de la permaculture sociale), la Cozyfantasy, elle, pense des mondes magiques et utilise ce décalage pour s’intéresser aux rapports interpersonnels.
Ces deux sous-genres, très proches dans leur focalisation ainsi que dans les valeurs dominantes mises en avant (importance du foyer, de la santé mentale, du labeur et de la communauté), reposent sur des procédés différents permettant de dépeindre plus complètement les utopies à l’œuvre.
Tester le réel
Si nous disposons pas de nombreuses d’études sur les alternatives en train de se construire, nous disposons également de peu d’informations sur les homesteads historiques (Arrington, 2012).
En effet, nous savons que des alternatives au modèle dominant existent et ont pu fleurir dans diverses circonstances, mais il est rare d’en avoir une documentation précise et explicite.
L’engouement récent pour le mouvement homestead (Mariotti, 2023), style de vie alternatif reposant sur la tradition nord-américaine de fermes familiales disséminées à travers de grands espaces, mais opérant avec peu de personnes dans une optique non commerciale, n’est pas une surprise. Cependant, cette surreprésentation idyllique ne peut suffire à comprendre la réalité de ces espaces.
De même que les nombreux ouvrages militants décrivant des alternatives décroissantes, des coopératives écocitoyennes ou des communes anarchistes demandent à être confrontés au réel pour être compris dans toute leur complexité.
Une piste de recherche ?
La recherche que je vais essayer de déployer ici, dans ce carnet de travail, va essayer d’approfondir les liens intimes entre fiction, construction de l’imaginaire autour de la notion et expérimentations concrètes.
En m’inspirant des nombreux travaux mettant en regard sciences exactes et science-fiction, je vais prendre la route que j’ai explorée ces dernières années pour confronter littératures de l’imaginaire et sciences humaines.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (28 janvier 2025). Vers une étude d’alternatives utopiques fictionnelles et expérimentales. Imaginarium. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/136g6