Ce billet appartient à la série sur les gestes de lecture, dont l’introduction se trouve juste ici.
Les gestes immédiats sont des gestes mettant en contact direct le corps du.de la lecteur.ice avec l’œuvre, ou plutôt avec le support de cette dernière.
L’espace d’inscription à étudier n’est alors plus divisé en trois, comme l’expliquait Triclot (2017), entre l’œuvre, le corps et l’espace entre; mais en 2, avec une zone de contact.
Cette intimité va être atteinte avec les téléphones intelligents : un smartphone tenu au creux de la main n’est pas distant de notre corps, pas plus qu’une console portable : la distance entre l’écran, les controllers et le.a lecteur.ice est si infime que nous pouvons le mettre de côté.
Il en va de même pour une écoute au casque : le dispositif est en contact direct (ou quasi) avec le corps du.de la récepteur.ice. Nous écarterons cette expérience qui demande une analyse particulière.
Quelques gestes immédiats
Tout d’abord, nous pouvons penser au défilement (scroll) qui est le moyen le plus commun de navigation au sein d’un texte continu : nous savons faire glisser nos doigts sur un écran tactile pour faire défiler le texte. Les webtoons exploitent ce geste particulier. Citons également des œuvres applicatives telles que Phallaina ou homophile pour l’aspect zinesque. Une étude du format des bandes défilées sera sans doute ici pertinente.
Le swipe : s’il n’est plus uniquement un moyen de tourner des pages mimétiques, mais de progresser par choix dans une arborescence narrative, il est répandu dans les pratiques. Nous pouvons l’observer dans Reigns, un récit de Fantasy d’un royaume occidental européen où nous incarnons le.a souverain.e et devons choisir comment réagir aux propositions diverses de notre entourage. Nos choix nous font progresser dans le récit, faisant suivre certains chemins narratifs à notre royaume et en fermant d’autres. Nous retrouvons alors les problématiques d’un récit hypertextuel, transposées dans un environnement technique différent.
Le tap (ou touche) est un autre des gestes de base des supports tactiles. Il sert de clic sur ces objets, il permet de sélectionner et d’activer des éléments interactifs (boutons, liens, etc.). Il est souvent utilisé pour faire défiler des œuvres séquencées sous forme de tableaux ou cases. Ainsi, nombre d’expérimentations de bandes dessinées numériques l’utilisent pour passer d’une case à la suivante si le tap est fait dans la partie droite de l’écran, ou précédente si c’est à gauche. Nous pouvons citer Marvel Unlimited, Anomaly comme études de cas possibles.
Penser la zone de contact
Il existe dans tous les cas évoqués précédemment une zone de contact entre le.a lecteur.ice et le support.
Une zone qui n’est pas un outil séparé du support, mais qui lui est intégrée si intimement qu’il en est souvent un des éléments caractéristiques : l’écran tactile des téléphones intelligents en est indissociable autant que les boutons le sont des consoles portables. (notons que la Nintendo Switch pose problème, pouvant à la fois être un bloc étudiable comme tel, mais pouvant également être scindée en deux : manette et écran, y compris dans son mode d’utilisation portable.)
Lire par frottement
Le livre papier traditionnel est dans ce genre de position : nous n’utilisons que très rarement des outils pour tourner les pages.
Cependant la position recréée ne recrée pas l’expérience.
D’une part, la répétitivité du geste appris vient ou non inscrire la lecture dans le dictionnaire de gestes (Citton, 2012) du.de la lecteur.ice : seul un certain nombre de gestes sont maitrisés par chacun.e.
Il est possible de considérer certains gestes, comme ceux énoncés plus haut, comme des communs des déjà-acquis de l’habitation numérique. Cependant, l’altérité peut venir d’un simple glissement d’un geste connu : le changer de contexte ou d’utilité peut venir perturber complètement une habitude pourtant acquise.
La temporalité d’action vient également jouer un rôle dans l’expérience lectorale. S’il faut de façon quasi continue faire défiler le texte par scroll ou par tap (ou en tournant des pages), une forme de routine va se créer. Cette répétition tend à faire disparaitre la perception du geste pour lui-même. Il devient un élément inconscient du flux de l’action et on ne pensera pas « je fais défiler le texte vers le bas pour avoir accès à la suite », mais tout simplement, « je lis ».
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (12 février 2022). Gestes immédiats. Imaginarium. Consulté le 13 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/q3pn