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Old man’s journey : un livre numérique ?

Broken Rules (un studio indépendant basé à Vienne)
2017 – Puzzle game narratif

écran d’accueil de Old man Journey

J’avoue que j’ai été séduite par un visuel aperçu sur le partage d’un ami.
Bien peu de chose pour choisir un jeu en somme… et pourtant ! 
J’y reviendrai mais je pense que c’est pour le moins significatif.

En traînant sur l’interface de téléchargement du Xbox Game Pass, je suis tombée sur Old man’s Journey. Je me suis donc plongée dedans.
Plongée exactement.

ALORS EN QUOI CE SERAIT UN LIVRE ?

(parce que c’est bien le sujet, ici aussi !) Je tracerais la ligne entre jeu video et livre à l’endroit où s’arrête la performance pour livrer un récit pur. Un livre interactif : sans aucun doute, mais un livre. il n’y a pas ici de victoire ou de points, il n’y a qu’une histoire…

Nous incarnons un vieil homme qui reçoit un courrier. S’assoit. Attends.
Pas un mot.
Il rentre chez lui, charge son sac, attrape son bâton. 
Sans un mot.

Il s’arrête : c’est à nous de poursuivre. 

no spoil : la réception de la lettre

Nous prenons la main pour moduler l’espace afin qu’il puisse traverser les tableaux.
Parfois, il s’arrête et nous offre un souvenir : un tableau fixe présentant un moment de sa vie. Ces pauses sont suffisamment dosées pour ne pas être lassantes, pour ne pas devenir un point d’attente obligée : nous prenons un certain plaisir à l’observer s’asseoir, poser son sac… se souvenir.
L’espace que nous manipulons se compose d’aplats colorés qui se croisent. Notre Héros passe de l’un à l’autre sans soucis de plan (avant-arrière), nous permettant de passer montagnes et collines. Il marche doucement le long des arêtes des surfaces que nous voyons en fausse 3D, superposées donc.
Le game play ne nous est jamais expliqué et se prend pourtant très bien en main. Niveau mécanique, tout est réussi. Si par moment la gestion des moutons (obstacles sur la route de notre Vieil Homme) est un peu compliquée : les pousser n’étant pas toujours évident au début ; l’ensemble reste grandement fonctionnel.

nous faisons glisser les lignes et visualisons en lignes jaunes les arrêtes où notre personnage peut évoluer, notre curseur-main les fait varier

Nous évoluons dans un univers doux, quelque part pas loin de celui du Chant de la mer (de Tomm Moore (2014)), près d’un phare, au bord de la mer puis plus au cœur des terres. On retrouve ces graphismes évoquant le fait main, le dessin illustratif d’album. Chaque trait a sa texture (de brosses digitales entendons-nous, mais tout de même) ce qui habille les aplats de nuances, les fait vivre… évitant un effet répétitif qui aurait tué le jeu dans l’œuf.
Les environnements sont variés, bien qu’extrêmement cohérents (tous les tableaux se faisant parfaitement suite, les lignes de mouvements se complétant permettant de revenir en arrière pour explorer de nouveaux itinéraires). La charte graphique est d’une continuité bluffante : tous les panneaux sont léchés, et fonctionnels… bien que pas tous aussi lisibles.
Les couleurs collent à son ressenti : plus ou moins gris, plus ou moins vifs. 
Les bleus-verts-sombres du début laissent place à des verts-orangés lorsqu’il touche au but.
Ces lieux sont notre seule interface avec notre Vieil Homme, il n’y a pas un seul mot, pas un seul dialogue. Pourtant nous ne sommes jamais perdus, malgré quelques difficultés sur certains tableaux (mais c’est peut-être moi, ou ma fatigue, ou les deux). 

L’ensemble est très émouvant : nous sentons son deuil. 

Nous vivons fort cette solitude : il est seul à l’écran alors que tous ses souvenirs sont peuplés de sa femme et de sa fille. Il est parti, il le regrette. 
On le regrette pour lui. 
Avec lui.

Il est seul mais il répond à l’appel qui lui est lancé, il traverse le monde pour revenir. Il passe le jeu à faire demi-tour.
Il doit accepter de vieillir, accepter son renoncement et faire avec, continuer à avancer. 
Il se tasse au fil des souvenirs tristes (son départ, l’échec de son premier retour : la maison qu’il a quittée ayant été abandonnée) ; nous offrant quelques beaux souvenirs de sa jeunesse, chatoyant et heureux (la rencontre avec sa femme, quelques moments avec sa fille).
Il est notre conteur muet, une sorte de narrateur-monstrateur d’une efficacité redoutable. 

Si le studio est habitué aux jeux de puzzle, il me semble que celui-ci est le plus poussé. D’une grande douceur qui correspond à sa nostalgie. Si l’ensemble est très contemplatif, pour une fois c’est pertinent. Je le prendrais avec plaisir comme exemple de la géopoétique de Kenneth White (1994), l’espace prend toute la place de nos interventions et incarne parfaitement l’état d’âme représenté. 
Nous avons un bon exemple de l’opposition espace / lieu : lorsque nous nous arrêtons ou plongeons dans un souvenir, nous sommes dans l’espace : des endroits importants narrativement par leur ambiance, par ce qu’ils impriment en nous ; alors que lorsque nous avançons (à plus forte raison lors des passages en train ou en montgolfière) ils sont importants comme outil de progression : par ce que nous imprimons sur eux. Tout le récit est ainsi incarné, non pas dans des faits mais dans l’espace.
L’échange entre nous et les collines se fluidifie au fil de l’avancée, nous permettant de mieux savoir ou l’arrêter, où le déposer pour « gagner » ses souvenirs, qui nous parviennent comme des récompenses de valeur.

Le design sonore colle parfaitement aux ambiances évoquées, avec des bruitages très soignés (et un grand nombre de cris de mouette).

J’ai fini le jeu en une petite dizaine d’heures, sans me presser.
J’en profite pour noter : les achievements se cachent dans des détails du décor (coucou les grenouilles !) qui s’animent quand on les clique. 

J’avoue pourtant regretter de ne pas l’avoir fait sur Switch, en voyage : ce jeu aurait été parfait pour habiter les heures d’avion ! 

PS. Désolée pour la qualité des images, ma Xbox refuse catégoriquement de faire des captures d’écran j’ai dû faire des photos de l’écran…


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (11 février 2022). Old man’s journey : un livre numérique ? Imaginarium. Consulté le 13 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/q3pm


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