J’ai commencé il y a plusieurs mois à diffuser en direct sur Twitch.Tv (sur la chaine de la Chaire de recherche du Canada sur les Écritures Numériques).
Je vais profiter de cet espace pour faire un bref retour sur cette expérience. Bien plus personnelle que d’ordinaire.
Je suis, à l’origine, public de cette plateforme. En premier lieu, parce que j’aime voir comment d’autres évoluent dans des jeux que je peux étudier, parce que je vais ainsi avoir un aperçu d’autres pratiques, et peut-être d’autres lieux que je n’aurais pas explorés par moi-même. Chaque partie étant unique, avoir une fenêtre sur celles d’autres joueur.euse.s est un atout !
Par la suite, j’ai commencé à suivre des laboratoires, comme le Liège Game Lab, et des doctorant.e.s, comme DoctorZ, qui s’emparent de la plateforme pour faire de la recherche autrement.
Naturellement, j’ai voulu participer à la discussion, avec l’avantage que mes objets d’études par nature numériques se prêtent bien à un tel exercice.
La première émission, la seule que j’anime au moment de la rédaction de ce billet, se nomme Corpus : où on parle de littérature numérique. J’y présente, tous les samedis matins, une œuvre de littérature numérique, ou bien je parle d’une thématique liée, le tout durant une heure ou deux.
De la vulgarisation ?
On nous — nous, universitaires et membres de l’académie au sens large — rappelle souvent que nos objets et nos travaux sont cantonnés dans nos tours d’ivoire. Qu’on ne sortirait pas suffisamment pour rencontrer les intérêts des gens. C’est vrai qu’il peut être épineux de voir comment nos recherches sur les textes sont utiles au chauffeur du bus ou au mécanicien. J’entends.
Ainsi, venir en parler sur une plateforme grand public, où la majeure partie de l’audience n’est pas universitaire ou pas présente ici à des fins académiques, est un avantage. Il m’est alors possible de parler à une autre audience que celle que je vais pouvoir rencontrer en colloque.
Pour une fois, des personnes qui me sont proches, mais non liées à ma recherche, peuvent prendre leur café du matin en découvrant mon corpus d’étude. Il y a quelque chose de plaisant à pouvoir enfin discuter de ce qui occupe mes journées avec ces personnes.
Pour l’instant, la communication sur l’émission a majoritairement circulé par ces personnes qui sont proches, majoritairement mes collègues et leurs cercles. On n’est pas encore à une franche réussite de ce côté-là. Le travail va se poursuivre et prendre forme dans l’avenir, je l’espère.
De la documentation ?
Pour la recherche, de telles émissions ont un intérêt immédiat : les objets numériques sont en perpétuelle évolution et notre travail de référencement par leur description via des termes standardisés (ce que je fais, par exemple, pour le Répertoire des Écritures Numériques) est incomplet. Il est impossible, dans ces interfaces, de capter l’expérience effective de l’œuvre.
Capturer des périodes longues de manipulation, avec le commentaire de la personne en train de faire l’action permet une archive du ressenti possible de l’œuvre. Une sorte d’instantané du vécu de l’œuvre à l’instant de la captation.
Il est impossible de passer à travers l’intégralité des œuvres et encore moins l’intégralité du corpus : le temps nécessaire serait bien trop important.
Je choisis donc de mettre en avant le début des œuvres, pour des raisons de compréhension pour le public, mais aussi pour appréhender l’entrée dans une œuvre.
Les captations sont enregistrées et déposées sur Nakala, la plateforme de dépôt de données de recherche développée par Huma-num. Je ne sais pas si j’en ferai un site ou non, si elles iront ailleurs ou non. Le but de cette démarche est évidemment d’institutionnaliser les œuvres et de permettre de lier de manière durable les captations aux fiches répertoriant les œuvres; mais aussi de légitimer cette manière de faire de la recherche.
Penser des formes de recherches ouvertes, qui montrent comment la pensée se construit est fondamental. Je pense souvent en termes de retour sur investissement pour le public : il finance en grande partie mon rêve de pouvoir évoluer dans un milieu intellectuel et vivre de ma pensée et du travail sur et autour d’objets qui me passionnent… mais comment leur permettre de bénéficier de l’investissement fait ?
Avec l’explosion des chaines de vulgarisations sur YouTube ou en podcast, je suis convaincue que quelque chose est à faire dans les études littéraires.
Retrouver un rapport ludique au corpus
J’ai choisi de travailler sur la littérature numérique et les lectures d’immersion par plaisir et par goût. Mais il est facile de perdre la trace de ce plaisir à force d’étude. L’analyse est sans doute le plus puissant tue-l’amour de nos sujets de recherche.
Reprendre la discussion au niveau du vécu concret, de la manipulation et de l’expérience vécue, dans un cadre informel et tourné vers la discussion permet de retrouver une part du plaisir originel.
L’interruption est brève, mais, dans mon expérience de recherche, permet (ou force) un regard différent sur le corpus.
De nouvelles émissions sont prévues dès l’hiver : je suis curieuse et toujours un peu inquiète de ce qui va naitre des idées qu’on peut avoir. Le live fait toujours apparaitre de nouvelles dynamiques que nous n’aurions pas pu prévoir. J’espère que ce travail chronophage sera utile et sera un jour reconnu comme une forme de travail de terrain pour chercheur.e.s en littérature !
Pour ces direct, j’utilise l’outil Twitch Studio : un billet sur le sujet sur le Carnet de la Fabrique du Numérique (à paraitre au moment de la mise en ligne, le lien sera ajouté).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Emmanuelle Lescouët (6 janvier 2022). Des directs sur Twitch? Imaginarium. Consulté le 4 décembre 2024 à l’adresse https://doi.org/10.58079/q3pj